[ Je mourrai pas gibier de Guillaume Guéraud ]

Auteur : Guillaume Guéraud
Genre : Contemporain, Jeunesse
Editions du Rouergue
Coll. DoAdo Noir
Année 2009
77 pages

Résumé

Mortagne n'est pas un patelin tranquille. Ceux qui travaillent le bois ne peuvent pas encadrer les vignerons et inversement. La haine fouette les murs. Les coups tordus pleuvent sans prévenir. Martial préfère apprendre la mécanique le plus loin possible. Pour fuir la scierie. Éviter les incidents. Et échapper à la phrase que répètent aussi bien les scieurs que les gars de la vigne : "je suis né chasseur ! Je mourrai pas gibier !" Parce que la chasse, ici, tout le monde pratique. Sauf Térence. Il a la tronche en biais. Il ne sait ni travailler ni chasser. C'est pour ça que Martial l'aime bien. Et qu'il ne supporte pas qu'on se défoule sur lui.
Mon avis

Dans ce court récit, l'auteur nous livre un condensé de violence à l'état pur. De manière crescendo, la tension monte dans l'esprit du jeune Martial, protagoniste principal et narrateur de l'histoire. De manière très détachée, il revient sur son action et surtout sur ce qui a motivé son action.

Sa différence et sa volonté de se détacher du village le rendent lucides vis-à-vis de la tension entre les habitants. La ville fonctionne comme des clans : les bûcherons détestent les vignerons et les vignerons détestent les bûcherons. Mais une phrase rassemble ces deux communautés : "Je mourrai pas gibier". Cette phrase a énormément de sens pour Martial qui ne désire qu'une seule chose ; vivre sa vie en paix et qu'on le laisse faire ce qu'il souhaite. Quand ce dernier a choisi de quitter le lycée du village d'à-côté pour un autre lycée qui propose une filière mécanique qui le fascine davantage, cela a été le début des moqueries dans sa famille. Personne ne comprend son choix et toute sa famille a même honte de ses études.

Fréquenter un autre établissement lui ouvre l'esprit sur le communautarisme du village dans lequel il vit. Cela va très loin et c'est sans aucun doute à cause de cela que le village accepte mal les différences de certains habitants, comme Martial ou comme son ami dément qui ne parle pas mais sourit tout le temps.

Par ailleurs, j'ai trouvé le récit très tranché. C'est un récit court, certes, mais il nous prend en haleine dès la première page. Au cœur de l'histoire et du récit, on veut comprendre pourquoi et comment un garçon si sensible peut en arriver là. J'ai été touchée par Martial, qui ne voulait pas tomber dans les travers de son village et qui pensait s'en être éloigné en changeant de voie. Par contre, je n'ai eu aucune empathie pour sa famille, pire pour son frère. Au début du récit, j'ai eu l'impression que Martial considérait son frère comme un héros. Mais en fait pas du tout, Martial reste très neutre dans ses positions et cette stature de héros que je pensais qu'il lui attribuait, lui vient en fait des autres habitants du village côté bûcheron. En effet, son frère a fait de la prison pour avoir commis quelques actes malveillants envers les vignerons avec son ami et contremaître, Fredo.

Au travers de cet exemple donné par Martial, on voit très clairement comment chacun de ses groupes est enfermé dans sa conception bipolaire de leur monde. Traditionnellement, ils se vouent une haine sans borne et d'une violence inouïe. La conclusion de l'histoire n'est qu'une réponse à cette haine et violence. Tous en sont éberlués et pourtant, c'est cette haine que modélise Marital par son acte. On en vient même à ne ressentir aucune pitié envers les habitants du village et cela nous met dans une position assez malsaine - position que je vous laisse découvrir si vous souhaitez lire ce très court roman.


En bref, j'ai aimé ce roman très intense et qui n'épargne aucune sensibilité. Le personnage de Martial est dramatiquement attachant ; on ne peut ressentir que de la pitié pour cette victime d'une société violente et archaïque. J'ai eu comme l'impression que la modernité n'existait pas dans ce village. Tous ont leur vie qui oscille entre famille, boulot et haine. Les habitants, de père en fils, exercent la même profession et s'insèrent alors dans le même groupe social. On voit d'ailleurs très bien ce que fait la vie en groupe de cette mini-société et cela donne froid dans le dos. Une bande dessinée a été adaptée d'après ce roman, je compte la lire pour découvrir ce que je récit donne en image.

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