[ Le silence des vaincues de Pat Barker ]

Autrice : Pat Barker

Traduction de Laurent Bury

Genre : fiction historique, drame

Editions Charleston

Paru en août 2020

352 pages

La guerre de Troie, mythe fondateur de toute la littérature européenne, commence par la banale histoire d'une reine enlevée à son époux par un autre homme. Mais, prisonnière du camp grec, une autre reine observe le destin du monde se jouer sous ses yeux : Briséis, la captive d'Achille, par qui la guerre basculera. Presque 3 000 ans plus tard, il est temps d'entendre sa voix - et à travers elle, peut-être, celle de toutes les femmes laissées muettes par l'Histoire et la littérature.

Quel plaisir de lire une fiction historique reprenant un récit mythique de Homère, poète de l'Antiquité grecque qui nous contait les aventures d'Ulysse, parti faire la guerre aux troyens au côté d'Agamemnon et d'Achille pour ne citer qu'eux, dans l'Illiade et l'Odyssée. Pat Barker reprend cette histoire et prend le parti de se placer du côté des femmes troyennes qui ont vu mourir leurs frères, leurs fiancés, leurs maris ou leurs pères et qui se retrouvent après des journées de lutte à vivre du côté des grecs, soumises, vouées à se taire et à obéir à leurs nouveaux maîtres. 

C'est au travers la destinée de Briséis, reine de Lyrnessos, que ce conflit prend forme sous nos yeux. On y voit les hommes s'affronter, se battre, être malades et soignés par ces femmes de l'autre camp. C'est bouleversant de voir la résilience de ces femmes dont Pat Barker a très bien su donner voix malgré un contexte qui les pousse à être invisible. Comment vivre aux côtés de ceux qui les ont vendues, soumises, violées, ceux qui ont tué leurs fils, maris, pères, frères et fiancés ? 

Pour moi, il s'agit certes d'une fiction historique mais il s'agit surtout de rendre la voix à ces femmes vaincues, ces civiles qui ne se sont pas - toutes- battues mais qui sont tout de même des victimes collatérales des conflits des hommes. Au-delà de cela, il s'agit d'un roman universel tant les guerres ont muselé les femmes, les ont assignées esclaves, résilientes pour survivre au chaos, à la violence… 

Je ne saurais vous dire comment et combien mon cœur a vibré à l'unisson de celui de Briséis. J'ai eu mal quand elle se sentait mal, j'ai douté quand elle a douté. A côté d'elle, on trouve Achille, figure emblématique de la guerre de Troie qui se révèle bien plus torturée et ambivalent que l'Histoire nous l'avait alors dévoilé. On rencontre un homme têtu, acharné, aimant d'une certaine manière et par les chapitres qui lui sont dédiés, on y découvre toute la culture de la Grèce antique, des liens qui unissent les hommes entre eux, de son organisation militaire et de ses stratégies pour vaincre, pour humilier. 

Avec ce roman, Pat Barker nous offre une vision moderne d'un récit mythique. A découvrir pour celleux qui ont aimé les romans Les dames d'Avalon de Marion Zimmer Bradley et La tente rouge d'Anita Diamant. Pour l'un, on redécouvre la légende arthurienne à travers les personnages de Morgause, Ygerne, Guenièvre et Nimüe pour ne citer qu'elles et pour l'autre roman, on part à la rencontre de Dinah, fille du patriarche biblique Jacob dont on ne connait la vie qu'au travers son viol ! Si vous ne connaissez ni l'un ni l'autre, vous pouvez retrouver mes avis lectures sur le blog ICI et ICI.